Chroniques autour des remèdes de grand-mère. Remède n°1 : le vinaigre.
Des recettes pour fabriquer ses produits soi-même, il en existe des milliers ! Mais connaissons-nous vraiment le vinaigre ? Peter Malaise, chercheur et consultant belge depuis 1972, assiste et participe à différents projets à travers le monde dont le seul but est de faire avancer le développement soutenable (terme défendu par Peter Malaise pour parler de développement durable). Son expérience dans de nombreux domaines tels que le consulting dans le secteur alimentaire bio, son rôle de directeur conceptuel de la marque ECOVER ou encore sa participation aux tables rondes sur l’huile de palme durable en font une personnalité engagée. Retour sur les us et coutumes autour de cette nouvelle tendance du ménage à la mode de grand-mère.
Origine et utilisation du vinaigre
Le vinaigre n'est pas seulement un condiment et un conservateur aux lettres de noblesse anciennes (les premiers documents datent de 1394 à Paris). C’est également une substance aux multiples applications médicales, ménagères et mêmes industrielles.
Il n’est pas étonnant de retrouver le vinaigre dans de nombreuses préparations : c'était un des seuls acides qui se fabriquait facilement, sans équipement spécifique. Il suffisait d'un peu de vin – dans le temps c’était souvent la seule boisson disponible avec l'eau – qu'on laissait "prendre du voile" au grand air. En effet, la formation d’un voile à la surface était la garantie que la bactérie Acétobacter s'était mise à transformer le vin en vinaigre. Le vinaigre et sa fabrication est connu depuis plus de 3.000 ans avant notre ère.
La vinaigrette, mélange d'huile et de vinaigre, fait partie des indispensables pour les salades d'été.
Mais dans d'autres cultures on a également fabriqué – et on fabrique toujours – des vinaigres à partir de moût, de fruits, de sucre, de céréales, de miel, de sucs de plantes et d'alcool pur, chacun disposant de caractéristiques et propriétés spécifiques. Ils sont à la base d'innombrables aliments, tel que la moutarde, les vinaigrettes et les conserves au vinaigre. Le vinaigre commun, dit "de ménage", est un vinaigre industriel incolore à base d'alcool pur : on peut en produire de grandes quantités en 24 heures seulement.
L'acte de nettoyer au vinaigre nous est resté des 18ième et 19ième siècles. Le vinaigre peut toujours nous rendre service, mais il faut bien se rappeler le contexte et les restrictions de cette utilisation ancestrale.
Nettoyer au vinaigre ?
Le vinaigre, un remède de grand-mère ?
Si l’on reprend le contexte passé, n'oublions d'abord pas qu’autrefois le vinaigre était le seul acide à la portée de tous. On pouvait le fabriquer chez soi à partir de matières communes et peu coûteuses, et sans équipement spécifique.
Deuxièmement, nos ancêtres connaissaient bien les matériaux utilisés pour la construction, le mobilier, les vêtements, les chaussures, les ustensiles, bref : tout ce qui les entourait étaient issus du règne minéral, végétal ou animal. Il n'y avait pour tous ces objets qu'une quantité restreinte de matériaux. A travers l'économie ménagère, de mère en fille, on apprenait ce qui pouvait se faire sans causer de dégâts, car une habitation ou un objet d'utilisation quelconque, même des vêtements, avaient une valeur au-delà de leur prix commercial, ils se passaient en principe de génération en génération, ou ils se réutilisaient après avoir été raccommodés.
Troisièmement, le vinaigre ne faisait pas partie des nettoyants ménagers. Dans beaucoup d'anciennes cuisines françaises, anglaises et allemandes, il y avait trois récipients sur une étagère au-dessus de l'évier. Ils contenaient du Savon, de la Soude et du Sable (les trois 'S') et c'étaient ces matériaux-là qui étaient utilisés au cas par cas, en combinaisons différentes ; ils sont compatibles entre eux. Le sable servait bien sûr aux travaux de récurage.
Historique mais pas automatique
Question restrictions, vu les connaissances transmises à travers l'économie ménagère on savait parfaitement qu'il ne fallait pas mettre le vinaigre en contact avec le marbre, le schiste, la pierre bleue, la pierre de Caen – en général avec aucune pierre calcaire. En peu de temps il fait des dégâts visibles et irréparables, il désintègre les matériaux. On pourrait même dire que le vinaigre était l'ennemi d'une grande partie des surfaces intérieures et extérieures des maisons d'avant la Seconde Guerre Mondiale. En effet, elles étaient en majorité réalisées avec, ou contenaient beaucoup de pierre calcaire. Le granit, la porcelaine dure et la céramique, eux, résistent très bien, mais c'étaient des matériaux chers et plutôt rares dans les foyers. Le bois nu résiste aussi sans problème.
Enfin, il faut également supporter l'odeur dominante du vinaigre, devenant plutôt insupportable quand il est chauffé. Par ailleurs, une exposition prolongée ou exagérée porte aussi atteinte aux voies respiratoires, comparable à l'effet de l'ammoniaque.
Un détartrant pratique
Un avantage caractéristique du vinaigre, c'est qu'il est en mesure d'enlever des dépôts de calcium (pour autant que le support est compatible avec le vinaigre). Autrefois – le vinaigre étant le seul acide ménager connu et accessible à tous – c'était un avantage très important, surtout après la généralisation de l'eau de ville, en général calcaire. L'astuce connue que le vinaigre "nettoie" les vitres n'est autre que l'enlèvement du voile calcaire déposé antérieurement par une eau dure. De même, des objets en verre, en cristal et même en aluminium qui sont devenus ternes suite à des dépôts d'une eau calcaire, peuvent être détartrés avec du vinaigre.
Désavantages et problèmes
Attention aux matériaux
Il y a, en plus des surfaces de l’habitat, une foule d'objets qui ne résistent pas au vinaigre : ceux qui sont faits de, ou décorés avec corne, os, cuir, caoutchouc, ivoire, écailles, nacre, perles, cuivre. La porcelaine elle-même résistait – mais comme les décors étaient peints à la surface de l'émail avant sa cuisson, et pas comme avec l'actuel "porcelaine d'hôtellerie" en-dessous de cet émail, une belle majorité de ces décors s’efface très vite. Il faut donc éviter les contacts entre la porcelaine ancienne et le vinaigre.
Le vinaigre ne pouvait surtout pas venir en contact avec le savon, le seul détergent connu jusque vers 1930, parce qu'il rend le savon insoluble et donc inutilisable. Essayez-le vous-même : mettez un peu de vinaigre dans un coquetier et ajoutez deux gouttes de vrai savon liquide (pas de détergent moderne !), il se fige instantanément.
Précautions d’usage
Un risque assez important est généré quand il y a contact entre le vinaigre et le cuivre – pensez aux conduites d'eau et à la robinetterie. Il se forme de l'acétate de cuivre, un sel à couleur verte, qui est nocif en cas d'ingestion. Pour sa manipulation il faut porter un vêtement de protection approprié. Beaucoup de bouilloires ou de machines à café renferment un tube plongeur en cuivre, il ne faut donc surtout pas détartrer ces appareils au vinaigre.
Il y a un problème important lié au vinaigre dont nos anciens n'étaient pas encore conscients. Ce qu'on appelle crasse, souillure, saleté, c'est une couche fine voire très fine formée par un mélange de traces de matières organiques (des restes alimentaires, des bactéries et moisissures, des huiles et graisses et des matières inorganiques (des sels minéraux, de la poussière, des particules de suie, du sable). Ce mélange gras et gluant – que techniquement on appelle biofilm – peut être invisible ou visible, odorant ou inodore – mais il est là, sur toutes les surfaces à l'intérieur et à l'extérieur de nos habitations.
Le vinaigre et le biofilm
Les limites d’efficacité du vinaigre
Ce biofilm est un réel foyer pour le développement et la propagation de bactéries et moisissures. Une bonne hygiène dépend donc de son élimination. Pour ce faire, puisque le biofilm est gras, il faudrait que le vinaigre soit en mesure de disperser huiles et graisses pour casser la cohésion du film et l'évacuer. Il faudrait donc au vinaigre un pouvoir détersif (qui a des propriétés lavantes) comme celui dont dispose le savon et d'autres tensioactifs, afin de baisser la tension superficielle de l'eau.
Ce phénomène physico-chimique de la tension superficielle fait que huiles et graisses ne peuvent pas se mélanger à l’eau. Cette tension devrait alors être de 300% plus basse, ce qui peut se réaliser par l'addition d'un tensioactif. Or, le vinaigre n'a pas ce pouvoir détersif et ne peut pas attaquer un film gras, ce n'est pas un nettoyant dans le sens propre du terme. En dépit de tous les louanges, le vinaigre n'est pas vraiment en mesure de nettoyer.
Quant au produit détersif, le vrai savon est contre-indiqué pour plus d'une raison. D'abord, il est électro-chimiquement incompatible avec la majorité des matériaux et souillures modernes (plastiques de tous genres : acrylate, polyester, polyéthylène, polypropylène, formica, mélamine, vernis et peintures de synthèse, gaz d'échappement, dérivés pétrochimiques et leurs produits d'oxydation). Non seulement le vrai savon a un effet nettoyant insuffisant sur ces surfaces et pour ces types de souillure, mais il dépose un film qui va devenir insoluble sous l'effet du vinaigre. Il faut donc choisir ses produits et ses méthodes de façon raisonnée.
Nettoyer…surtout nettoyer
Toutefois, le vinaigre a bien des caractéristiques intéressantes qui peuvent venir en aide à une hygiène soutenable – mais seulement après l'enlèvement du biofilm par un produit détersif. Notamment son pouvoir bactériostatique (déjà à faible concentration, il bloque le développement de bactéries présentes) et son pouvoir biocide : il peut tuer un nombre de bactéries pathogènes communes, comme Clostridium, Salmonella, Listéria, Staphylococcus et certains types d'Eschérichia coli, ainsi que beaucoup de moisissures, qui peuvent être éliminées par un vinaigre commun à 5% ; ce fait a été documenté scientifiquement.
Toutefois, n'importe quel manuel ou cours de nettoyage et désinfection stipulera qu'il faut opérer en deux temps : une phase détersive pour enlever le biofilm, et une phase biocide qui pourra agir sur une surface nue. Dans la pratique on peut considérer le vinaigre comme un produit biocide, qui désinfecte, mais on ne peut pas l'appeler ainsi : un désinfectant doit répondre à la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides, et être homologué dans ce sens. Le vinaigre ne l'est pas, mais bien sûr, personne ne peut vous interdire d'utiliser le vinaigre comme biocide sous les conditions raisonnées décrites...
Dans la prochaine chronique, nous regarderons de plus près ce qui en est des différentes formulations et mélanges de vinaigre avec d'autres matériaux, souvent suggérés dans des publications de vulgarisation.